Un projet de construction en rondins bruts et torchis à Ungersheim


A l'arrière de la mairie d'Ungersheim, un prototype de mur de la future ferme de maraîchage a été construit durant l'hiver par des volontaires. Restent encore à mettre au point les procédés de torchis (voir le lien avec le blog en bas de page)

Ce projet à maîtrise d'ouvrage communale fait actuellement (décembre 2012) l'objet d'une étude et de la construction d'un mur-test. Sa dimension de chantier-laboratoire porte sur l'actualité, la faisabilité, de modes de construction "primitifs" au regard des contraintes règlementaires actuelles. Il est, également, un essai d'écriture poétique de l'histoire d'un lieu, de la mémoire d'un village, et vaut manifeste dans une commune en transition énergétique.L'espace de projet est un "Bioterritoire" constitué par la commune d’Ungersheim et couvrant une superficie de 22 hectares, occupée par des milieux distincts.

 
Au nord, en bordure de la route vers Feldkirch, un secteur naturalisé après remodelage du terrain en 2000 occupe l’emprise du puits minier d’Ungersheim dont ne subsiste plus aucune trace construite. L’exploitation minière poussait également deux bras vers le sud-est, aujourd’hui colonisés par une végétation spontanée. Le premier, de faible hauteur, vient innerver la zone agricole. Le second,  plus important  a été après la fin de l’activité minière le lieu d’une activité de retraitement de matériaux inertes de démolition. Abandonnés sur place, ceux-ci ont produit un relief élevé ou promontoire, intéressant du point de vue de la variété des milieux et points de vue. Cette avancée forme couloir écologique connectant l’ancien carreau minier aux rives du Feldbach inférieur et à l’étang de pêche, site prisé des Ungersheimois.


Figure 1. Localisation des terrains. La forme trapèze ceinturée par des arbres correspond à l'ancien carreau minier d'Ungersheim.

Les zones de cultures, riches terrains de lœss, sont affectées aux Jardins du Trèfle Rouge, antenne des Jardins d’Icare, qui y développe depuis 2011 une activité d’insertion par le maraîchage. Pour l’heure, seule la culture est pratiquée sur ces terrains (serres-tunnels et plein air), la logistique étant basée provisoirement dans l’ensemble « Champré » à l’autre bout de la commune.

La commune a mis à l’étude la construction d’une « ferme » qui permettra le déroulement sur un même lieu et dans de bonnes conditions de l’ensemble des activités de production et de formation. La réflexion sur ce projet, menée au sein de la municipalité et des conseils consultatif et participatif de la commune, a conduit à imaginer des pistes créatrices pour une couture culturelle et écologique des espaces, aujourd’hui dissociés.

La ferme est une construction neuve, qui répond à trois objectifs :

  • Pérenniser l’activité de maraîchage avec un outil fonctionnel, et aux normes (thermiques, de sécurité…)
  • Créer un lieu de vie et de convivialité dans lequel se construit progressivement un programme de formation destiné au public en insertion et à des publics plus larges
  • Créer un objet symbolique, un « marqueur identitaire » nouveau.

Ce dernier aspect est très important, car forme et matières de la construction vont émettre des sens, une polysémie, qui permettront à chacun d’y retrouver son propre être, au collectif de se projeter dans l’imagination du futur.

On a donc travaillé à la fois sur les archétypes et sur l’histoire et les mémoires attachées au  lieu.

Le toponyme historique, « Kohlacker », signifie « champ du charbon ». Il indique qu’ici fut une forêt, défrichée par des charbonniers. Ils y établirent leur campement et leurs meules avant de s’en aller plus loin, laissant la clairière aux paysans. Peut-être un millénaire plus tard, le camp du charbonnier s’impose comme une métaphore. Il évoque l’ide d’un groupement humain un peu nulle part, au-delà du monde connu et familier, dans un temps incertain. Il y a l’idée du camp, de la cabane dans la forêt, faite de rondins et d’argile, facile à construire et à chauffer, qu’on transforme elle-même en charbon quand le moment est venu de partir.

Ces nouvelles terres, qui sont au départ un écart, s’intègrent au système agraire communautaire du village.
Aux XVIIIe et XIX e siècles, les parcelles en lanières se divisent dans le sens de la longueur, d’héritage en héritage. Dans certaines parcelles apparaissent de manière clairsemée l’un ou l’autre arbre fruitier, alors que d’autres sont de véritables vergers.




Figure 2. Le même site tel qu'il apparaît sur une carte d'Etat-Major de 1884. Noter la présence d'un arbre remarquable dans la partie occupée plus tard par le carreau minier


En 1925, une partie de ces terrains est distraite de l’agriculture et devient le site de fonçage des puits d’Ungersheim 1 et 2 ouverts du début de la décennie 1930 à 1976 (en relation avec le carreau minier Rodolphe) puis de 1986 à 1998. Les puits sont comblés à la fin de l’exploitation et les installations de surface démolies en 2000.



Figure 3. Vue aérienne du carreau minier d'Ungersheim en 1934


 Figure 4. Les chevalements disparus du carreau minier d'Ungersheim


Figure 5. Scène de la destruction du carreau minier d'Ungersheim en 2000 (document Martin Konieczny)

La commune décide alors d’affecter ces terrains à une naturalisation spontanée, sur un relief remodelé (conservant en place les talus anti-pollution créés lors de la remise en exploitation durant la décennie 1980). L’enquête ethnographique menée en janvier 2012 au sujet de "La nature à Ungersheim" montre que cette idée est perçue comme judicieuse. Le « retour à la nature » respecte la mémoire de ce qui fut un lieu de travail, longtemps structurant de l’identité locale, en sanctuarisant son emplacement.


Figure 6. La clairière sèche actuelle à l'emplacement du carreau minier


Figure 6. Une île, où on voit le ciel...


Figure 7. Vus depuis le carreau minier naturalisé, et à l'emplacement prévu pour la ferme, le clocher XVIIIe s. de l'église et le château d'eau des années 1930, marqueurs identitaires du paysage d'Ungersheim.

Heureuse concordance, le site de maraîchage biologique « Le Trèfle Rouge » vient s’amarrer à la lisière du carreau minier naturalisé, un peu comme si le compteur du temps se remettait à zéro et qu’à l’ombre de la forêt qui repousse, un nouveau défrichement était à l’œuvre, ambitionnant de venir à bout de friches sociales.


Figure 8. L'espace de maraîchage est innervé par une langue sauvage, poussée par le carreau minier naturalisé.
 
L’exigence d’un récit métaphorique nous conduit à un schème horizontal et annulaire. Les constructions s’organisent en rond autour d’une cour intérieure figurant l’archétype de la première maison des hommes (le feu autour duquel on se rassemble en cercle). On peut y voir la transposition du camp des charbonniers, où les cabanes entourent la meule, raison d’être et ressource du groupe. Mais on y reconnaît aussi l’organisation des fermes du Vieil Ungersheim, où habitations et dépendances s’ordonnent autour de la cour centrale.




Figure 9. Première esquisse du bâtiment circulaire

Le foyer central est évoqué, dans le projet, par un signal vertical. Il rétablit, non loin de l’emplacement des chevalements miniers disparus, l’élément manquant du triptyque des tours d’Ungersheim. Le signal abrite des fonctions rassembleuses et conviviales, telles le four à pain.

Deux quarts d’anneau construit encadrent la cour, les fonctions de lieux de vie (réfectoire et salle pédagogique) et de production (stockage et conditionnement des légumes, dépôt des paniers) étant séparées pour faciliter l’usage ponctuel des lieux par d’autres publics.

Une bonne partie du projet sera réalisée avec des matériaux locaux, mis en œuvre avec un minimum de transformations. On pense en particulier à un système de rondins empilés, format ossature d’un mur massif en torchis. Ce système est inspiré de la technique du zagme,  traditionnelle dans la région du Guilan au nord de l’Iran. Elle est intéressante en raison de  sa consommation de bois plus faible que dans les Blockbau (grumes pièce sur pièce) européennes et nord-américaines, et par sa mixité avec une masse importante de torchis allégé, riche en paille. Les assemblages sont limités, et l’usage de bois courbes ou de sections variables est possible. Sous réserve d’expérimentation, le système serait donc particulièrement adapté à la transition énergétique décidée par la commune, au travail de bénévoles et personnels en insertion.


Figure 10. Première étape de la construction d'une maison en zagme au musée du patrimoine rural de Rasht en Iran


Figure 11. Etape suivante de la construction de la même maison

 
Figure 12. Remplissage en torchis de la structure en zagme.

Parallèlement à ces aspects symboliques et poétiques, le principe constructif des rondins et torchis sera confronté aux règlementations actuellement en vigueur, qui ne prévoient nullement l’usage des matériaux « naturels » tels qu’envisagés ici. La recherche de la faisabilité au regard des normes thermiques, de sécurité et de garanties, sera un aspect décisif du chantier.
La construction d’un prototype expérimental va débuter sous peu dans la cour de la mairie d’Ungersheim. En cliquant sur ce lien vous pourrez suivre les travaux dans le journal de bord du chantier et y laisser vos idées et commentaires.

Pour connaître l'avancement de la construction en 2017, suivre ce lien: les travaux de la maison des natures et de la culture progressent à Ungersheim

 

Publication:

 

GRODWOHL Marc. « Architecture vernaculaire et paysages : les enjeux culturels de la transition énergétique à Ungersheim (Alsace) ». In Le nœud architectural. Journal des anthropologues. N° 134-135