Aperçu de la construction en terre crue au Guilan (Iran)

La reconstruction de maisons anciennes dans les musées de plein air offre des opportunités exceptionnelles de recomposition de savoirs techniques oubliés ou disparus, en associant chercheurs et opératifs. Ce fut le cas à l'Ecomusée d'Alsace, et ce l'est encore davantage au Musée du patrimoine rural du Guilan, qui peut faire appel à des artisans ayant encore une grande familiarité avec la construction en argile, et beaucoup de finesse humaine.
Le musée du patrimoine rural du Guilan a beaucoup de chance de pouvoir remettre à l’honneur la construction en terre, presque toujours associée au bois dans cette région caspienne, et présentant une grande diversité de techniques.
La pluviométrie élevée de la région interdit les toits en terrasse, à l’exception de la petite ville de Massouleh qui, à près de 1000 mètres d’altitude, bénéficie d’un microclimat. Ce dernier, allié à la forte déclivité du terrain, a suscité un mode d’occupation de l’espace inaccoutumé au Guilan. Les toits en terrasse des maisons, en terre battue, se jouxtent, ou sont reliés par des passerelles, et constituent ainsi les rues du bourg.
 
Figure 1 : Massouleh
La capitale du Guilan, Rasht, présente dans ses vieux quartiers d’assez nombreux exemples de constructions de murs de clôture ou de bâtiments en terre banchée et damée.
 
Figure 2 : dans un quartier ancien de Rasht

La reconstruction de la maison Rafi’i de Roudbaneh dans le musée du patrimoine rural, en 2005, a été le premier chantier de terre crue que ce jeune musée a pu aborder. Les photographies qui suivent en présentent les principales étapes. On les comparera utilement aux vues prises pendant le démontage de l’ « ensorcelante maison au chapeau pointu »

Figure 3 : la maison repose sur une plate-forme surélevée en terre damée. Une fois celle-ci achevée, on creuse à l’emplacement de chaque pile de fondation un trou empli de couches de cendres et charbon de bois, et terre, alternées et damées. Ce dispositif préservant les plots de fondations des remontées d’humidité est décrit par ailleurs, dans notre relation des travaux préparatoires à l’inauguration du musée.
 
Figure 4 : les deux lignes de cinq plots de fondations revoient chacune deux sablières parallèles, sur lesquelles reposent les solives. Sur celles-ci prend place un lit de branches refendues, support d’une épaisse couche de torchis damé.



Figures 5 et 6 : les poutres de la construction en « zagmeh » n’étant pas assemblées, leur garnissage en torchis se fait à mesure de l’élévation des murs. S’il fallait absolument définir cette technique, on hésiterait à la qualifier ou de « terre armée horizontalement » ou d’ « ossature bois enduite » tant les deux matériaux participent solidairement à une construction réputée pour sa résistance aux secousses sismiques. Sur le détail (deuxième vue à gauche en partant du bas) on notera le poteau d'huisserie (montant de porte qui sera ensuite noyé dans le torchis) et le lien de corde qui assigne aux deux poutres supérieures du mur une fonction de chaînage.
 
Figure 7 : plafond du deuxième étage, formant l’assise de la charpente du toit.

Nous consacrons une notice distincte à la couverture en chaume de cette maison.

Le musée aborde en ce moment (mai 2007) la construction d’un deuxième îlot, regroupant des bâtiments de l’unité écologique et culturelle du plateau central du Guilan. Contrairement à celles du delta est du Sefid Rud, dont la maison Rafi’i est un exemple , les constructions reposent directement sur le sol, dans l’espace de ventilation qui résulte de l’assise de la maison sur une plate-forme reposant sur des plots.
 
Figure 8 : cette maison en cours de démolition près de Sangar révèle une maçonnerie en briques crues, posées en épis (tchiné). On constate que la maçonnerie de briques crues ménage une réservation aux angles de la maison, dans laquelle prend place le poteau. Celui-ci sera ensuite noyé dans un torchis de finition.
 
Figure 9 : Le détail montre bien que plus encore que crues,, les briques sont mises en œuvre molles et peut-être volontairement déformées. La destruction de ces briques révèle la présence, en forte densité, de tessons de poteries, fait que nous avons remarqué dans d’autres constructions du même genre. Ostad Rassul Talebzadé, maître maçon, a interrogé son père âgé de 85 ans, lui-même maçon, sur la raison de la présence de ces tessons. Selon lui, elle n’a aucune signification rituelle –contrairement aux tessons porte-bonheur que l’on trouve inclus dans les maçonneries d’Alsace et sans doute d’ailleurs-, ces tessons se trouvaient simplement là, déjà présents dans la terre utilisée. L’examen de la texture des briques révèle que la terre a été dégraissée à la balle de riz.

Figure 10 : à Gasht, près de Fuman, on note également dans l’enduit de surface de nombreux tessons de poterie. A l’évidence, beaucoup de soin a été apporté à ce que les briques molles ne collent pas les une aux autres, en les enduisant d’une fine couche de cendres. On voit que le lit d’assise, correspondant à une pause de séchage avant reprise des travaux, est très nettement chargé de cendres.
 
Figure 11 : détails de la façade arrière, sous auvent, de la maison Mehrpour à Sangar en cours de démontage par le musée (juin 2007). Ils nous montrent une technique mixte : le rez-de-chaussée aux murs massifs et talutés, est construit en briques de terre molle. L’étage est en torchis appliqué sur un clayonnage vertical, fixé sur des poteaux

Figure 12 : les travaux de préparation du remontage de la maison Mehrpour ont commencé sur le terrain du musée. On voit la plate-forme périphérique damée sur laquelle sera élevé le mur en briques molles. Sur la façade avant, la surélévation est armée de potelets verticaux pour former la murette d’assise de la galerie à poteaux.

Figure 13 : la galerie à trois niveaux de la maison Mehrpour
 
Figure 14 : chantier de la maison Mehrpour, installation des poteaux dans des trous circulaires, calés avec des pierres concassées

Figure 15 : Maître Rassul Talebzadé, maçon

Figure 16 : dans la même zone, le musée construit une maison de « paysan sans terre ». On assiste au malaxage aux pieds de la terre, à laquelle a été ajoutée de la balle de riz. L’argile, prélevée sur le site même, a été préalablement mouillée et remuée dans une fosse. Elle est jetée sur une aire parfaitement plane, damée, recouverte d’une fine couche de balle de riz.

Figure 17 : la terre est ensuite égalisée, puis fortement battue, et enfin découpée au couteau en carrés de 25 x 25 cm environ.




Figures 18 a et b: je suis là aux côtés de Maître Rassul Talebzadé, un grand professionnel ; il avait commencé le chantier avec la technique de la région de Khalkhal, dont il est originaire. On voit cet appareillage très soigné et régulier à l’arrière. Il fait ainsi partie de ces « turcs » qui traditionnellement venaient réaliser les « tchiné » au Guilan, comme son père avant lui. Mais sa technique de briques parfaitement calibrées au moule, et séchées, n’avait rien de commun avec ce qui était attendu. Nous avons donc empiriquement recherché, ensemble, et nous posant beaucoup de questions l’un à l’autre, le mode opératoire : dégraissage de la terre, bonne consistance, appareillage.
Cette technique de « tchiné » en arrête de poisson est très voisine de celle utilisée dans l’architecture vernaculaire de Moravie. On y trouve des murs en rouleaux de terre, d’un diamètre de 15 cm pour une longueur de 30 cm, montés en épis. La pose commence par les deux parois externes et se termine par le rang interne, les trois rangs constituant une épaisseur de 50 cm environ. Dans les exemples du Guilan ,pour une épaisseur de mur similaire, on relève également trois rangs à la base des murs, se rétrécissant en deux rangs compte tenu du talutage des parois.
Cette technique anticipe sur le retrait de l’eau, en limitant la masse de terre. Les briques molles sèchent séparément les unes des autres, et les déformations même légères qu’on leur imprime permettront ensuite leur parfaite imbrication, à la manière d’un mur de pierres sèches.
Il était évidemment passionnant de participer à ce chantier, et de le faire un peu avancer, car il fallait faire se rejoindre l’observation archéologique et le savoir-faire du maître maçon, orienté au départ sur une mauvaise piste. Comme toujours sur ce chantier, personne n’a eu de réaction de susceptibilité et chacun a contribué à l’expérimentation… Quand à moi, je faisais preuve de beaucoup d’assurance mais je n’avais jamais monté ni vu monter un tel mur. Mais j’y retrouvais bien l’esprit de que j’ai construit moi-même à l’Ecomusée d'Alsace, dans la maison d’Artolsheim, où côte à côte j’avais réalisé un remplissage en galets posés en épis, et un torchis en colombins.

Figure 20 : le même au torchis en colombins sur palançons, sur la maison d’Artolsheim à l’Ecomusée d’Alsace (1988)

Figure 21 : maison d’Artolsheim à l’Ecomusée d’Alsace, association de torchis et de galets en épis : une préfiguration de la question posée au Guilan un peu plus tard…

Marc Grodwohl
3juillet 2007