Les Rois mages à l’écomusée d’Alsace en 2025, un naufrage culturel (2)
On n’en croit pas ses yeux, à la lecture de l’article « Les rois mages à l’écomusée [d’Alsace] le 5 janvier » paru dans le quotidien « L’Alsace » du 31 décembre 2024. Voici quelques jours, nous nous interrogions dans ces pages sur les errements (sortilèges, St Nicolas etc.) d’un musée classé « musée de France » par le Ministère de la culture. En effet, ce label constitue pour le public une garantie de sérieux. Le sérieux n’est pas l’art d’ennuyer le public, bien au contraire, mais une garantie que tous les moyens de la muséographie (expositions, films, animations…) soient mis au service du partage de connaissances vérifiées, soupesées, respectueuses et pertinentes par rapport à l’état présent de la société.
Nous nous interrogions sur ce qui poussait le musée à multiplier des animations censées évoquer les « traditions » et fêtes calendaires des sociétés anciennes. Un sujet que je connais fort bien puisqu’avec mon équipe, alors que je dirigeais le musée (entre son ouverture en 1984 et notre départ en 2006) nous avons été les premiers à évoquer, expliquer, ces sujets au moyen d’animations. On n’imagine pas le soin que nous avons porté à la préparation intellectuelle de ces dernières, tant le sujet est délicat. Il faut pouvoir parler de fêtes chrétiennes par essence en respectant les croyants, tout en évitant toute suspicion de prosélytisme : je pense qu’un musée dès lorsqu’il bénéficie de généreux financements publics, en France et surtout en ce moment, doit s’astreindre au juste respect de la laïcité, sans excès non plus.
Il ne faut pas que l’interprétation de pratiques sociales, religieuses et festives anciennes soit l’objet, dans un musée, de spectacles sans fondement historique et ethnographique, et semble-t-il poursuivant des fins de racolage et de surenchères commerciales.
L’animation « Rois Mages » lève nos derniers doutes sur la dérive culturelle de l’écomusée. Nous n’irons pas, ici, faire état des connaissances actuelles sur le culte des mages, promus "rois" tardivement. Contentons-nous de dire que ce temps était une des séquences hivernales d’échange entre morts et les vivants, les enfants étant les intercesseurs entre les deux mondes (voir le massacre des Saints Innocents). Cette intercession est rendue visible (et dès lors expurgée de toute dimension magico-sacrée) par la quête de dons, de maisons en maisons. De telles quêtes se reproduisent à Carnaval, à la Mi-Carême, le lundi de Pâques, le lundi de Pentecôte, combinées avec des rites de passage et d’intégration à la communauté (par exemple les quêtes des conscrits).
Eventuellement quelques enfants peuvent être costumés en rois mages. Coutume inoffensive (dans le sens où elle n’offense personne) qui se perpétue ou se réinvente en toute modestie çà et là, par exemple à Staufen de l’autre côté du Rhin.
Figure 1. Déambulation d’enfants costumés en rois mages à Staufen, 2009
Modestie, le mot est dit.
Voyons comment l’écomusée s’en affranchit pour donner dans le grand spectacle sans queue ni tête. Les rois mages arrivent dans le musée en grande pompe, sur leurs chevaux. N’a-t-on pas trouvé de chameaux ? Les éléphants sont-ils exclus pour raison de souffrance animale ? Les rois-chevaliers (quel contresens) sont accompagnés d’une escorte et protégés par des hallebardiers. On est loin, très loin, du message biblique d’humilité. On n’attend pas, on l’a dit, que les responsables de ce musée soient dévots et on ne leur demande pas davantage d’être docteurs en théologie. Mais le minimum que l’on attend d’eux est qu’ils en sachent suffisamment pour ne pas faire d’erreurs aussi grossières et de tromper leur public.
La mascarade conduit à une parodie d’Adoration en « musique et lumières », suivie d’une quête des « petits rois », qui à lire cet article de presse semblent des sales gosses lançant imprécations et malédictions à l’encontre des spectateurs qui ne leur donneraient rien.
Pathétique ou scandaleux, voilà ce qu'il se passe dans un lieu sous label « musée de France ». Sur le site internet du Ministère de la culture, les musées bénéficiant de ce label de qualité doivent :
- conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections ;
- les rendre accessibles au public le plus large ;
- concevoir et mettre en œuvre des actions d'éducation et de diffusion visant à assurer l'égal accès de tous à la culture ;
- contribuer au progrès de la connaissance et de la recherche
On voit ce qu’il en est de la connaissance et de la recherche, et de l’accès à la culture.
Ma parole n’a pas de poids, il est facile de continuer à ne pas chercher à comprendre et d’imputer ma réaction à la frustration d’avoir été contraint à quitter la direction du musée. Le silence des autorités et administrations, politiques, religieuses, culturelles, est incompréhensible. A moins que ce soit une preuve de plus que l’écomusée ne compte plus pour grand-chose dans le débat culturel.
On fait grand cas de mairies qui en toute candeur exposent dans leurs locaux une vieille crèche… Dans le musée censé être protégé de dérives idéologiques (à ce stade c’est de cela qu’il s’agit) par les lois de la République, tout est permis en toute irresponsabilité et inconscience des dégâts occasionnés.
A quand l'arrivée à l'écomusée du Lièvre de Pâques entouré de ses hallebardiers ?
Marc Grodwohl 31/12/2024